Pendant très longtemps, l’expression des émotions sur le lieu de travail n’était pas souhaitable. On peut citer, par exemple, le système Taylorien qui négligeait totalement les émotions, et plus globalement tout ce qui avait attrait à l’Humain afin de se concentrer uniquement sur la meilleure façon d’effectuer une tâche ; « The One Best Way ». Ainsi, l’Homme au travail devait être pragmatique, rationnel et objectif, gage de performance et de rendement. Cette inhibition des émotions dans le monde organisationnel amenait les travailleurs et travailleuses à n’être plus qu’un simple rouage de la machine, vision du travail dans laquelle l’être humain était totalement déshumanisé.
Encore aujourd’hui, l’expression des émotions dans le milieu organisationnel reste taboue, celles-ci devant être le moins visible sur le lieu de travail, entraînant une « surconformité du comportement » (van Hoorebeke, 2003). Dans une situation compliquée, il est souvent préférable d’avoir un manager ou un patron qui arrive à garder son sang froid à celui qui se met à hurler et qui laisse exploser sa colère ! Cependant, les émotions peuvent également jouer un rôle bénéfique, aussi bien pour la personne qui les exprime que pour l’organisation.
De l’émotion à l’engagement organisationnel : rationnel, normatif & affectif.
Les émotions jouent notamment un rôle prépondérant dans l’engagement organisationnel des employé∙e∙s. Allen et Meyer (1991) distinguent trois types d’engagement organisationnel. L’engagement de continuité est un engagement rationnel consistant à répondre à la question suivante : « Quels sont les avantages et inconvénients si je reste ? Si je pars ? ». Si les coûts sont supérieurs aux bénéfices, l’employé∙e partira. Dans le cas contraire, il ou elle restera. L’engagement normatif est basé sur un code moral, une fidélité organisationnelle que s’applique l’employé∙e, lui procurant le sentiment d’avoir l’obligation de rester dans l’entreprise. Enfin, l’engagement affectif, de nature émotionnelle, se traduit par une identification à l’entreprise et à ses valeurs. Alors que l’engagement affectif ainsi que l’engagement normatif amènent les salarié∙e∙s à ressentir plus d’affects positifs tels que l’enthousiasme, l’engagement calculé les amène à éprouver plus d’affects négatifs tels que la nervosité et l’anxiété (Herrbach, 2005), ces affects étant liés au stress, l’humeur dépressive ou, plus globalement, impactant la santé de l’employé∙e (voir Brief & Weiss, 2002).
Les émotions : un levier de performance & de réceptivité au changement
Au-delà de l’engagement, les émotions jouent également un rôle positif dans l’apprentissage. En effet, celui-ci est facilité lorsque la formation s’effectue par le plaisir et la bonne humeur en organisation (Gond et al., 2005). Quant à Staw et collaborateurs (voir Brief & Weiss, 2002), ils ont montré, à travers une série d’études, que les états affectifs impactent la performance. Plus précisément, les états affectifs positifs facilitent la créativité alors que les états affectifs négatifs amènent la personne à être plus attentive aux solutions du problème et à des jugements plus précis. Les différentes caractéristiques organisationnelles telles que celles liées aux tâches à effectuer, le système de récompense et de sanction, les comportements des supérieur∙e∙s et des collègues, le style de leadership, les feedbacks sur le travail, sont des causes potentielles de ressenti d’émotions. En fonction de ces émotions ressenties, elles impactent à leur tour la réceptivité au changement, les comportements de soutien, la satisfaction du travail, le climat dans les équipes de travail, les décisions de carrière et l’intention de quitter l’organisation, et plus globalement le stress et la santé des employé∙e∙s.
Exprimez votre colère avec modération !
Jusqu’ici, nous nous sommes attardés majoritairement sur des émotions positives. Mais qu’en-est-il des négatives telles que la colère ? Transmettre des émotions permet également de les réguler (Rimé et al., 1992, 1998). Ainsi, exprimer votre colère vous permettra de moins la ressentir. Au contraire, ne pas l’exprimer peut avoir des conséquences négatives bien plus importantes. En effet, ne pas l’exprimer ne permet pas de la réguler et peut potentiellement vous amener dans un état de rumination mentale. La rumination mentale se caractérise ici, par un état de colère intérieure constant, sans-cesse réactivé par le souvenir de l’événement source de cette colère. Or, la rumination mentale est prédicteur de la dépression et de l’anxiété (Baeyens, 2016). Là-dessus, 175 entretiens menés par Fitness (2000) montrent que la régulation de la colère se fait différemment en fonction du statut de pouvoir de la personne. En effet, les supérieur∙e∙s ont davantage tendance à exprimer leur colère et à se confronter à la personne source de cette émotion alors que les subordonné∙e∙s sont moins susceptibles de le faire. Par conséquent, les supérieurs considèrent généralement que le problème est résolu alors que les subordonnés, non. Cette non-expression de la colère de la part des subordonné∙e∙s facilite un ressentiment continu de colère, voire de haine, envers la personne ayant causé cet état émotionnel.
En conclusion
Les émotions, peuvent être définies comme des états affectifs non-inscrits dans la durée, associées à une valence agréable ou désagréable (Meunier et Rolland, 2006). Bien que contrairement aux humeurs ou aux attitudes, celles-ci ne s’inscrivent pas dans une durée plus ou moins longue, elles restent néanmoins importantes et jouent un rôle essentiel dans le monde organisationnel, aussi bien au niveau du bien-être et de la santé de la personne qu’au niveau du bien-être de l’entreprise. En résumé, le bien-être des salarié∙e∙s est toujours révélateur du bien-être de l’organisation.
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